Parfois, les plus beaux gestes ne viennent pas de ceux qu’on attend. Pas d’un parent biologique. Pas d’un éducateur formé. Pas d’un héros de cinéma. Parfois, ils viennent d’un homme au passé cabossé, sans enfants à lui, mais avec un cœur assez vaste pour accueillir plus de 700 âmes perdues. Toombow Kids souhaite partager avec vous la belle histoire de Wang Wanlin, un homme de 80 ans vivant à Hangzhou, dans la province chinoise du Zhejiang, qui a choisi de ne pas détourner le regard de la misère dans le monde.
Tout commence en 1979, par une rencontre nocturne. Wang, alors âgé de 34 ans, croise sur le bord de la route un adolescent frigorifié, en larmes. Le garçon a 15 ans. Il a fui une mine de charbon où il avait été exploité après avoir été trompé par des recruteurs dans sa province natale. Sans hésiter, Wang l’emmène chez lui. Il l’abrite, le nourrit, lui redonne un peu de dignité. Puis, avec l’argent de sa poche, lui paie un billet de train pour rentrer chez lui. Ce geste, qui aurait pu rester isolé, allait devenir la mission de toute une vie. Car cette nuit-là, Wang n’a pas seulement sauvé un enfant. Il s’est sauvé lui-même.
Dans sa jeunesse, Wang était promis à une brillante carrière artistique. Admis dans une troupe de chant et de danse affiliée au gouvernement, il rêvait de scène et de lumière. Mais un jour, un voisin l’accuse à tort d’avoir volé une montre. L’accusation infondée lui coûte tout. Condamné à 16 ans de rééducation par le travail dans une ferme isolée, il sort brisé, rejeté, oublié de tous. C’est un patron d’usine d’emballage, un homme lui aussi bienveillant, qui le remettra sur pied en lui offrant un emploi. Et comme une forme de justice poétique, c’est à partir de ce moment-là que Wang décidera de tendre la main à ceux qui, comme lui autrefois, étaient tombés dans l’ombre.
Depuis plus de 45 ans, Wang arpente les rues à la recherche de ces enfants perdus. De ceux que la société a abandonnés. De ceux qui fuient la misère, la violence, l’exploitation. Il leur ouvre sa porte, les nourrit, leur offre un toit, un billet de retour, un mot doux. Sa seule condition ? Qu’ils lui écrivent une lettre, une fois rentrés chez eux, pour lui dire qu’ils vont bien. Certains n’ont jamais pu repartir. Trop loin. Trop compliqué. Trop dangereux. Alors Wang les a gardés. Jusqu’à vingt enfants à la fois ont vécu sous son toit. Il les appelait affectueusement ses “petits drifters”. Même si ces derniers n’avaient pas son sang, il leur offrait de l’amour.
Parmi eux, Yu Hui. En 1998, à 12 ans, Yu quitte son village pauvre d’Anhui pour gagner de l’argent et aider sa famille. Il se retrouve pris dans une bande d’enfants délinquants qui l’obligent à voler. Il parvient à fuir, affamé, sale, égaré. Il fouille dans une poubelle à Hangzhou quand Wang l’aborde. Le vieux monsieur sort un article de journal parlant de lui pour le rassurer. Il ne ment pas. Il est là pour aider. Yu accepte, timidement. Wang l’abrite, puis le renvoie chez ses parents. Mais quand il apprend que le garçon a dû abandonner l’école pour travailler, Wang insiste pour qu’il revienne. “Le travail n’est pas la seule issue”, lui dit-il.
Grâce à sa persévérance, Yu finit par étudier dans une école professionnelle jusqu’à ses 19 ans. Plus tard, Yu travaille à Shanghai, gagne de l’argent, construit une maison pour sa famille – la plus belle de son village. Mais lorsqu’il apprend que Wang, désormais âgé, vit seul, il revient vivre avec lui pour s’en occuper. Aujourd’hui, Yu est directeur d’un salon de beauté et il veille sur Wang comme sur un père. Il change discrètement les aliments périmés que le vieil homme refuse de jeter. Il le soigne, le protège, le remercie en silence. Et Wang, lui, garde précieusement chaque lettre, chaque photo de ses “enfants”. Des centaines. Des souvenirs d’un amour qui n’avait pas besoin de liens du sang pour être pur.
L’an dernier, Yu a posté une vidéo pour tenter de retrouver les anciens protégés de Wang. Elle a ému de nombreux internautes, mais il l’a retirée rapidement. Son “père” ne voulait pas que ses enfants soient jugés pour leur silence. Il ne leur en voulait pas. Ce n’était pas pour la reconnaissance qu’il avait donné. C’était pour l’amour, simplement.
Dans un monde où tant d’orphelins restent invisibles, Wang Wanlin s’est levé. Seul. Sans moyens extraordinaires. Juste avec son cœur. Il a été, pour des centaines d’enfants, la main tendue, l’épaule rassurante, le visage bienveillant qui dit : “Tu comptes. Tu mérites mieux.” Il est une légende silencieuse. Le père des oubliés. Et dans le silence de son appartement, rempli de lettres jaunies et de regards sur papier, son héritage ne s’éteindra jamais.
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